
Ce n’est pas toujours dans les écoles des beaux-arts que l’on devient artiste. Parfois c’est un appel du cœur, quelque chose qui nous happe à la gorge et nous remue les tripes et qui ne nous lâche pas ; la passion. C’est la passion qui nous tend à oser prendre un objet, à reproduire quelque chose et progressivement à créer de l’art, cursus aux beaux-arts ou non. Cela peut être une rencontre décisive aussi, une discussion ici où là : le déclic s’opère et la persévérance fera le reste, coûte que coûte. L’artiste mis à l’honneur aujourd’hui est Koko Komégné, un grand homme au cœur noble et militant, qui a su écouter sa voie intérieure et est considéré comme un pilier véritable de l’art camerounais avec pas moins de cinquante années de carrière artistique.
« Il ne faut pas que les enfants soient trop pressés. Il faut labourer, bêcher, savoir se remettre en question. Ne pas dire qu’on a réussi, chercher toujours à atteindre l’excellence. Ne pas faire l’art pour les réseaux, pour les groupes de pression, pour les groupes financiers. Faire l’art, c’est être libre »
Koko Komégné
Son déclic artistique remonte au milieu des années 60, après des aller-retours entre Yaoundé, le village de sa grand-mère et Douala, là où il entre dans l’atelier du peintre français Jean Sabatier, amateur de paysages alors en expatriation au Cameroun. Koko Komégné commence par observer et reproduire à son tour les gestes du peintre. Progressivement, il obtient sa première commande pour réaliser des peintures publicitaires, ce qui lui permet de subvenir à ses besoins et donc, de travailler sa propre démarche artistique. Une confrontation artistique s’opère lors du Festival mondial des arts nègres en 1966 à Dakar : dès lors, le refus du figuratif s’impose à lui. Il délaisse les paysages et replonge dans ses origines, tout en s’enrichissant des écrits de Camara Laye, Senghor, etc.
« Il ne s’agissait pas de faire de l’art comme les Blancs, mais de réaliser quelque chose d’autre, quelque chose qui n’est pas forcément ressemblant, qui n’est pas tellement beau, mais qui invite à la méditation. J’ai repensé aux mystères, aux danses, aux symboles, à l’imaginaire de mon village, aux discours de ma grand-mère, et j’ai compris. »
Koko Komégné
Son style artistique est représentatif de la diversité de la vie, ses apparences trompeuses et ses aléas. Relater sa vie dense par les mots serait beaucoup trop insuffisant pour résumer son long chemin. Par sa générosité et sa soif insatiable de façonner le monde et ses facettes modulables, il a ainsi créé un nombre incalculable d’œuvres disséminées dans de nombreuses collections privées.
« Il repose sur trois valeurs essentielles : harmonie, équilibre et anonymat, auxquelles il faut ajouter la dimension militante. C’est un ensemble de valeurs spirituelles, morales et artistiques du monde noir. Un art qui brise la notion du temps et de l’espace. Un art qui en même temps qu’il se refuse de reproduire le présent, s’en inspire. Ce n’est pas un art qui flatte, mais il ne choque pas non plus. C’est un art au service de l’homme, un art qui introduit le visiteur tout en l’égarant. Le centre d’intérêt de cet art c’est l’homme dans la mesure où il cherche à atteindre le cœur, l’esprit et l’âme. La couleur devient accessoire. Ce qui compte, c’est la construction et l’émotion qui se dégagent de l’œuvre, le dialogue silencieux qui s’instaure entre le visiteur et la toile. C’est pour toutes ces raisons que mon art a duré. »

Koko Komégné, Njé Mo Yé, Douala, 2007. Public artwork commissioned by doual’art for the SUD Salon Urbain de Douala 2007. Photo by Christian Hanussek, Douala, 2007.
Anouk Bertaux
africanparure.com
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